L'art de sublimer, la liberté de créer

Romain Vigourt, itinéraire d'un passioné

Romain Vigourt, pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

Mon parcours c’est d’abord une chance : celle d’avoir su très tôt quel chemin professionnel je voulais emprunter. En troisième, au collège, j’avais un dossier catastrophique : j’étais nul en tout ! et j’ai su tout de suite ce que je ne voulais pas faire, c’est-à-dire continuer les études générales. C’est pour ça que je me suis orienté vers des études professionnelles, au grand dam de ma mère pour qui avoir le Bac était la condition indispensable de réussite dans la vie. En fait je voulais  clairement devenir ébéniste. J’avais lu des articles sur ce métier dans les revues au CIO du collège ; je me souviens particulièrement de la  photo d’un ébéniste en plein ouvrage sur sa pièce de bois : cette photo, ce geste, m’avaient fasciné. Je me suis dit alors « c’est ça que je veux faire ! ».  Donc je me suis orienté vers ce lycée de Reims, dans lequel j’ai passé un CAP en deux ans : c’était royal ! Mes résultats se sont considérablement améliorés : de 6/20 de moyenne générale je suis passé à 18. J’étais devenu, non pas le meilleur de ma classe, mais le meilleur de tout le lycée (rires). J’ai eu de super notes partout, y compris dans les matières où je péchais auparavant :  20 de moyenne en maths…! C’était, à priori, inespéré.

Vous aviez de super notes car vous étiez motivé ?

J’étais hyper motivé ! C’est dingue, quand tu es à l’école, il y a la pendule au fond de la classe qui a du mal à avancer alors que là, dans ce lycée professionnel, en atelier, le temps passe trop vite. C’est là que je me suis dit « ça y est, j’ai trouvé mon truc ». Je me suis même inscrit au concours départemental d’ébénisterie et grâce aux conseils de mes profs, j’ai décroché la première place !

Ces notes et ce parcours m’ont permis  de proposer un dossier à l’école Boulle, qui me faisait rêver, sans trop y croire. Et le jour où j’ai reçu la réponse positive, j’ai littéralement sauté au plafond : j’ai foncé et là, c’était parti pour quatre ans, à Paris. J’ai fait des études pour préparer le diplôme des métiers d’art (DMA). Je suis alors redescendu un peu de mon nuage, c’était quand même beaucoup plus compliqué. La première année, j’ai atterri dans un foyer où je partageais ma chambre avec un étudiant qui préparait un diplôme en bijouterie. Le mec peinard, jouait à la console tous les soirs alors que moi, j’étais jusqu’à 2h du matin à trimer sur mes dossiers. Je n’avais jamais bossé autant ! La première année surtout, après je me suis mis dans le bain, j’ai trouvé mes marques. Et à la fin, j’ai obtenu le diplôme, avec le titre honorifique de major de promo !

L’école avec ses vieux planchers en bois, ses ateliers, ses odeurs … c’était magique, une ambiance vraiment particulière.

Je suis sorti de l’école en 2001 avec mon diplôme d’ébéniste en poche et je suis passé à autre chose. Je voulais travailler dans le domaine de la maquette et du prototype. J’ai donc intégré une entreprise qui faisait ça, mais au fil du temps, le travail devenait de moins en moins intéressant, notamment à cause de la stratégie d’évolution numérique du dirigeant. En fait, après l’école, j’ai très peu travaillé en tant que salarié…

création de meubles sur mesure

Vous aviez besoin de liberté ?

Oui. En fait, il y avait toujours une relative mésentente avec mon patron ou mon supérieur hiérarchique. Clairement, ça me gênait de ne pas pouvoir gérer mon temps comme je l’entendais…

Donc problème avec l’autorité ?

Pas avec l’autorité en tant que telle, mais plutôt les horaires fixes. Les 8h-12h, 14h-18h…

Il fallait laisser le temps à l’imaginaire, à l’inspiration ?

Ce dont j’avais besoin c’était… je ne sais pas trop, c’est compliqué à expliquer. Peu importe l’heure qu’il est, j’ai besoin d’aller au bout des choses, de valider les étapes. C’est frustrant d’arrêter en plein milieu.

Et cela vous était reproché en tant que salarié ? Vous étiez dépendant des autres..

En tant que salarié, je ne pouvais pas raisonner comme ça, j’avais besoin de liberté pour exprimer mes idées.

Donc, vous avez créé votre société dans la foulée, en 2003 ?

Le 1er avril 2003, j’appelle mon entreprise Kaléidos en hommage à mon grand frère qui est décédé brutalement en 1997,  dans un accident de voiture, et avec qui on formait un groupe de musique. Moi j’étais batteur, mon frère bassiste et puis un copain guitariste. On faisait de la musique expérimentale rock et on avait appelé notre groupe Kaleidos ;  qui veut dire « Belle forme » en grec.
Je m’installe à Gueux dans la maison familiale, dans laquelle j’avais la chance d’avoir des dépendances. Ma mère habite un grand corps de ferme et donc j’ai commencé à bosser là-dedans. J’ai eu 1, 2, 3, 4 salariés et au bout d’un moment, on a commencé à pousser les murs. J’avais des envies de grandeur, c’est pour ça que j’ai acheté en 2010, un atelier situé à Bourgogne, qui m’offrait la possibilité de m’agrandir. Aujourd’hui je partage mon temps entre le bureau et l’atelier, entre les créations et la réalisation.

création de meubles sur mesure

Comment envisagez-vous la création d’un meuble quand on vient vous voir ? Quelles sont les premières questions que vous posez ?

Tout dépend du type de meuble. Si par exemple, il s’agit d’un dressing, je vais demander si les vêtements sont pliés ou bien suspendus, s’il y a besoin de tiroirs pour ranger les sous-vêtements, s’il faut un tabouret pour s’asseoir… La création est guidée par la fonction.
Lorsque tu as un projet sans contrainte, où on te laisse carte blanche, c’est extrêmement compliqué et tu ne sais pas par où commencer… Tu n’as pas la fonction qui est là pour t’aider, pour pouvoir créer. Moi je crée toujours de la même façon, la fonction et la forme, car la forme dépend de la fonction.

« La création est guidée par la fonction »

Une table basse c’est ce qu’il y a de plus libre ?

Une table basse comme une table de salle à manger, c’est extrêmement compliqué parce que tu peux créer 36 000 modèles différents. C’est un coup de poker.

Vous repérez l’espace chez le client ou c’est l’espace qui s’adapte au mobilier ?

Je vais partir de l’espace, des couleurs, des matériaux qu’il y a déjà dans l’environnement pour établir un cahier des charges qui permet de créer l’objet.

Et le choix des essences ?

C’est pareil, ça va dépendre de ce qu’il y a déjà chez le client, ça peut être en bois de toutes les essences, brut,  laqué, mais aussi en métal en verre ou en toute autre matière.

Vous n’êtes donc pas fermé aux autres matières ?

Non, au contraire, j’adore ça. Lorsque je réalise une tête de lit, j’aime utiliser des tissus, des cuirs.

Pouvez-vous nous décrire un exemple de projet sur lequel vous travaillez actuellement ?

Bien évidemment je mène de front plusieurs projets en même temps ; mais l’un d’entre eux est particulièrement passionnant : je participe, en collaboration avec un architecte, à l’aménagement d’un appartement pour un particulier, dans le centre de Reims. Le client m’a accordé toute sa confiance et m’a donc confié la mission de créer quasiment tous les meubles du logement. Un an de travail, de la conception à la réalisation avec une grande liberté, et une grande confiance de la part du client. J’ai tenté de respecter son univers, beaucoup échangé avec lui, afin de comprendre, au-delà de ses attentes pratiques et fonctionnelles, ce qui pourrait au mieux accompagner les prochaines années de sa vie… C’est un projet excitant, passionnant et gratifiant. Le client m’a chaleureusement remercié ; au-delà du chiffre d’affaires qui fait vivre mon entreprise, c’est ce que je recherche essentiellement : satisfaire une demande en améliorant un tant soit peu l’environnement et donc le quotidien de mes clients.